DES TRAVAILLEURS IMMIGRANTS DÉNONCENT LES CONDITIONS DE TRAVAIL DANS LES ENTREPÔTS DE DOLLARAMA

Une aidante philippine passe la nuit en prison après s’être fait accuser de vol par ses employeurs. Un boucher mexicain qui est forcé à travailler illégalement après s’être fait saisir ses papiers par son employeur désigne sa vie en tant que travailleur sans statut au Canada « mille fois plus exploitant qu’aux États-Unis. » Un travailleur temporaire guatémaltèque est déporté après avoir tenu tête à son employeur,  l’opérateur d’une des plus grandes serres.

Ce ne sont que quelques histoires documentées dans Les Voix Migrantes, une série d’émissions de radio et de podcasts organisée par le Centre des travailleurs et travailleuses immigrants (CTI). Ces histoires, qui sont archivées sur le site du CTI (et parfois disponible dans deux ou trois langues) sont le résultat d’un partage de compétences visant à entrainer les gens du CTI dans la production médiatique pour qu’ils puissent raconter leurs propres histoires.

Dans cet espace, le CTI présente des extraits d’entrevues dirigées par deux hommes noirs, tous les deux immigrants récents de pays d’Afrique de l’Ouest. Ils se sont interviewés l’un et l’autre pour Les Voix Migrantes sur leur expérience en tant que travailleur temporaire dans une usine tenue par la chaîne de détails Dollarama.

Ces deux hommes, dont l’identité demeure strictement anonyme dans le but de les protéger de toutes formes de représailles de la part de la compagnie, ont comparé la tension psychologique et physique qu’ils ont vécue à de l’esclavage.

LES TRAVAILLEUR.EUSE.S D’USINE « TRAVAILLENT PLUS QUE DES MACHINES »

Le premier, un travailleur hautement qualifié avec une formation académique et dix ans d’expérience en tant qu’électromécanicien dans une usine de lait en poudre, a complété le programme d’intégration au marché du travail mais affirme que « ça n’a pas payé. »

Il s’est finalement tourné vers les agences de placement temporaire et s’est retrouvé dans l’usine de Dollarama. La dureté de son labeur fut un choc pour lui.

 

« J’étais surpris que dans un pays industrialisé comme le Canada, vous pouviez avoir des endroits où les gens travaillent plus que les machines », dit-il.

 

Son travail impliquait la manutention de boîtes lourdes à longueur de journée dans le but de remplir d’immenses palettes de marchandise. Son quota quotidien était de 23 palettes.

« Pour faire 23 palettes par jour il faut lever beaucoup de boîtes lourdes et nous n’avons pas le temps de nous reposer, alors c’est très physique et l’endroit est extrêmement bruyant. Il y a beaucoup de poussière. »

« Il y a beaucoup de gens qui se foncent dedans puisque tous le monde est sur ses gardes, tout le monde est nerveux parce qu’ils veulent tous atteindre leur quota. »

Il affirme qu’en tant qu’homme noir, il était ciblé pour du travail comparable à de l’esclavage.

 

« Certainement nous pourrions comparer ceci à de l’esclavage et j’ai vite compris qu’à la couleur d’un individu… Quand j’allais à l’agence de placement, il y avait le travail pour ceux.celles qui sont noir.e.s et après il y avait le travail pour ceux.celles qui sont blanc.he.s, » a-t-il affirmé, ajoutant que des emplois qu’il aurait pu occuper avaient plutôt été offerts à des Québécois.e.s blanc.he.s, malgré ses qualifications avancées.

Le travail éprouvant physiquement a laissé ses marques sur son corps, dit-il.

 

« C’est de l’esclavage parce que je l’ai ressenti physiquement. J’éprouve des problèmes de santé depuis que j’ai travaillé chez Dollarama. Encore à ce jour, je me fais soigner. J’ai des douleurs aux muscles dont je souffre en ce moment. Je prends des anti-douleurs et des anti-inflammatoires à presque tous les jours. »

 

Il a tenu à avertir les autres sur les tâches subalternes qu’il.elle.s devraient subir s’il.elle.s décidaient d’émigrer au Canada.

« Quand vous venez ici, il faut oublier tout ce que vous avez appris. C’est comme si vous étiez né.e une seconde fois parce qu’ici… il faut aller à leurs écoles. Vous devriez savoir qu’il faut refaire sa formation et que vous allez commencer par du travail physique. »

Il a aussi imploré le gouvernement de revoir ses lois sur les agences de placement temporaire pour les rendre « plus humaines ».

 

LA RÉTROGRADATION D’UN ORGANISATEUR POUR LES DROITS DU TRAVAIL : UN « CONGÉDIEMENT MASQUÉ »

 

Un autre travailleur temporaire originaire du Cameroun s’est adressé au gouvernement pour qu’il cesse la « terrible exploitation » des travailleur.euse.s immigrant.e.s qui sont engagé.e.s par des agences de placement temporaire.

 

Dans une entrevue avec Les Voix Migrantes, il affirme avoir obtenu deux maîtrises en Belgique (biologie et agronomie) avant de travailler en protection de l’environnement pour quatre ans au Cameroun, pour ensuite immigrer au Canada en quête d’une vie meilleure. Il dit avoir été choqué par le nombre de préjugés auxquels il fit face ici.

« Les gens ne nous font pas confiance et je trouve ça choquant » a-t-il dit. « Ils doutent de notre expérience et de notre formation. »

Après plusieurs mois sans emploi, il se résigne, déchanté, aux agences de placement temporaire pour au moins subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de sa femme. Il se retrouva éventuellement dans l’atmosphère exaspérant de l’usine du Dollarama en tant que travailleur.

 

« Le travail était très dur, très physique, » dit-il. « Il y a un quota à atteindre chaque jours sinon on vous congédie le lendemain. »

 

« Des travailleur.euse.s qui se sont blessé.e.s durant leurs heures de travail ignoraient leur droit, » ajoute-t-il. Après s’être impliqué avec le CTI, il commença à organiser des ateliers pour informer ses collègues sur leurs droits et à distribuer des dépliants à l’usine.

 

« Quand on a entendu parler de mon mouvement, il.elle.s ont immédiatement décidé qu’il fallait se débarrasser de ce mauvais élément. » L’agence l’assigna à du travail de plus en plus éprouvant jusqu’à ce qu’il démissionne.

 

« Je me suis rendu compte que le travail qu’on me donnaient était beaucoup plus difficile et je devais travailler à temps partiel pour moins d’argent, » dit-il. « J’ai travaillé si dur pour que ma famille puisse survivre. »

 

Finalement, il décida qu’il n’en pouvait plus. Il démissionna, affirmant qu’il avait vécu un « congédiement masqué ».

 

Mais reste que son but, sensibiliser ses collègues immigrant.e.s sur leurs droits en tant que travailleur.euse.s, était atteint.

 

« Il.elle.s savent qu’on peut être compensé pour les accidents de travail, qu’on peut être compensé quand on est malade, alors… je suis très heureux de mon travail. »