Détention des migrant.e.s, un “triste cauchemar”

Entrevue avec une mère réfugiée sur son expérience en détention à Laval

Cette entrevue a été réalisée en décembre 2012 par Aaron Lakoff, avec une femme immigrante dans le réseau de Solidarité Sans Frontières. La femme (qui veut rester anonyme) est venue à Montréal en 2006, et sa demande d’asile a été refusée. Menacée par un ordre d’expulsion en 2009, elle a plutôt décidé de résister à sa déportation et de vivre au noir. Durant l’été 2009, elle a été arrêtée chez elle par des agents de l’Agence des services frontaliers du Canada, et détenue pendant plusieurs jours dans le Centre de détention des immigrant.e.s à Laval. Elle était avec son fils de 6 ans, et elle était enceinte de son prochain enfant.

 

Solidarité Sans Frontières a aidé à la sortir de détention, et l’a supportée depuis. Finalement, sa demande de résidence permanente pour motif humanitaire a été acceptée au printemps 2012, et elle a le droit de rester au Canada avec sa famille (elle a maintenant 3 enfants).

 

 

Q: Est-ce que tu pourrais partager ton expérience de quand tu étais enfermé à Laval en 2009 ?

 

R: Oui, j’étais au Centre de détention de Laval pendant 4 ou 5 jours. En fait, j’étais enceinte de 5 mois, et j’avais mon garçon de 6 ans avec moi. J’ai vécu un triste cauchemar et une mauvaise expérience en étant là-bas. Les gens dans le centre de détention sont assimilés à des criminels. Les agents de sécurité sont omniprésents. Il y a des caméras de surveillance à tous les niveaux. Il y a aussi de la fouille à chaque fois que tu vas d’un endroit à une autre. Même quand tu es dans la toilette, il y a un agent de sécurité qui t’attend devant la porte. Il y a aussi une confiscation d’objets personnels qui est systématique.

 

Il y en a certaines femmes qui sont séparées de leurs enfants. Ce n’était pas le cas avec moi. Moi j’ai gardé mon garçon avec moi. Il a fait une grosse crise là-bas au point que les agents ont du intervenir parce qu’ils n’en pouvaient plus. Je pense qu’il serait important d’améliorer le système au lieu d’enfermer inutilement les demandeurs d’asile. D’après moi cela n’a aucun bon sens. Ça ne fait pas une très bonne image pour le Canada, qui est un pays d’accueil.

 

Moi j’irais aussi jusqu’à dire que la façon dont les employés et les agents là-bas ont un pouvoir discrétionnaire est très abusive. Il y en a qui m’ont menacée si je m’enfuyais encore. Je dirais aussi que ça a beaucoup joué sur mon mental, et ça m’a affectée psychologiquement et physiquement.

 

 

Q: Est-ce que tu pourrais partager ton expérience du jour où tu as été arrêtée ?

 

R: Je dirais que le jour où j’ai été arrêtée, les agents de sécurité savaient qu’ils venaient pour arrêter une femme et un petit garçon. Mais quand ils sont venus, ils étaient au moins 5 grands gaillards – vraiment des grands hommes – et une femme. Ils savaient que c’était une femme, ils n’avaient pas besoin de se déplacer avec 3 véhicules et 5 hommes comme si ils venaient pour chercher un criminel. Ils ont aussi défoncé ma porte, j’étais dans ma maison, et ils ont encerclé toute la maison comme si ils cherchaient une vendeuse de drogues ou une criminelle. C’était vraiment traumatisant. Puis c’était comme si j’étais dans l’eau bouillante. J’ai failli péter les plombs. À chaque minute je ne savais pas qu’est-ce qui se passait. J’avais juste peur.


Q: Est-ce que tu as été menottée ?

 

A: L’agent a dit qu’il voulait me menotter, mais dû à la présence de mon enfant, il ne voulait pas le traumatiser encore plus. Mais si non, il a dit qu’il voulait me menotter. Puis il m’a aussi menacée verbalement en disant que j’ai aggravé ma situation parce que j’ai refusé de coopérer.

 

Q: Maintenant on est 3 ans plus tard, et ton statut d’immigration a été régularisé. Quelles sont tes réflexions aujourd’hui quand tu penses à cette expérience?

 

A: C’est sûr que cela a laissé des séquelles. Ça laisse une page d’histoire et beaucoup de souvenirs qu’on ne peut pas oublier. C’est vraiment comme une page qu’on ne peut pas oublier. Ça a aussi laissé des séquelles à mon fils qui n’arrête pas de crier de temps en temps “maman, c’est l’immigration qui frappe à la porte”.