S’opposer aux coupures au PFSI et lutter pour l’accès aux soins de santé pour tou-te-s

Par le Collectif Justice Santé

Le Collectif Justice Santé (CJS) s’est formé en juillet 2012 à Montréal et est présentement composé de militant-e-s qui travaillent, ou ont travaillé, dans le domaine des soins de santé. Notre campagne « Nous ne coopérerons pas ! » a été développée en réponse aux coupures au Programme Fédéral de Santé Intérimaire (PFSI) instituées par le gouvernement conservateur du Canada en juin 2012. Nous cherchons à cibler les causes fondamentales des maladies, en nous intéressant et en nous attaquant aux réalités sociales qui entraînent souvent des problèmes de santé.

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Le PFSI est un programme fédéral qui donne accès à des soins de santé pour les réfugié-e-s et les demandeur-euses d’asile au Canada. Avant les coupures du 30 juin, le PFSI, déjà critiqué pour sa nature restrictive, offrait la couverture pour « les soins urgents et essentiels », ce qui incluait les médicaments et certains soins préventifs pour les demandeur-euses d’asile. Les coupures au PFSI sont intimement liées à la Loi visant à protéger le système d’immigration du Canada (projet de loi C-31), plus adéquatement rebaptisée la Loi sur l’exclusion des réfugié-e-s. Ces coupures, privent essentiellement de soins de santé (incluant les services hospitaliers, médicaux et la médication) un nombre important de demandeur-euses d’asile, à l’exception des personnes dont les problèmes de santé « représentent une menace à la sécurité publique ou à la santé publique ». Seul-e-s les demandeur-euses d’asile venant de certains pays peuvent accéder aux soins de santé « urgents et essentiels », mais n’ont plus accès aux médicaments, à moins qu’il ne s’agisse d’une situation présentant un « danger pour la santé publique ou la sécurité publique ». De plus, les soins dentaires, psychologiques, préventifs, de la vue et de réadaptation ne sont plus couverts. Bien que le gouvernement du Québec ait annoncé qu’il mettait en place des mesures pour renverser les effets de ces coupures et restaurer un certain accès aux médicaments et aux soins de santé, sur le terrain, les personnes qui devraient être couvertes par le PFSI ou les soi-disant mesures compensatoires du Québec continuent de se voir refuser des services sur une base quotidienne. Par ailleurs, l’accès aux soins de santé pour des centaines de milliers de migrant-e-s sans statut au Canada n’existe pratiquement pas.

Nous affirmons que les coupures au PFSI et la Loi sur l’exclusion des réfugié-e-s démontrent l’intention du gouvernement d’enraciner un climat politique encore plus ouvertement hostile aux personnes migrantes. Dans le contexte des changements continus et draconiens aux politiques d’immigration, la Loi sur l’exclusion des réfugié-e-s cause déjà et continuera de causer une augmentation du nombre de déportations et de détentions d’immigrant-e-s et de demandeur-euses d’asile. La loi va empêcher plus de personnes d’avoir accès à un statut permanent au Canada, créant ainsi encore plus de précarité. Le gouvernement canadien est clairement motivé à fermer ses frontières coloniales à ceux-celles qui ont été déplacé-e-s et qui cherchent une vie plus digne, tout en s’appropriant les corps des personnes migrantes, vus comme de simples marchandises servant à répondre aux besoins économiques et de main-d’œuvre du Canada.

Le concept même et la mise en œuvre de la soi-disant catégorie des « pays d’origine désignée » (POD) est une illustration aberrante des impacts de la Loi sur l’exclusion des réfugié-e-s et des coupures au PFSI. Depuis décembre 2012, le ministre fédéral de la Citoyenneté et de l’Immigration a le pouvoir de désigner certains pays comme étant « sécuritaires ». Les migrant-e-s venant d’un « pays d’origine désigné » n’ont plus droit à aucune couverture pour leurs soins de santé, même pour des besoins urgents ou essentiels, à moins de souffrir d’un problème de santé pouvant avoir un impact sur « la santé ou la sécurité publique ». Les POD sont des pays que le gouvernement considère (de manière arbitraire) comme « sécuritaires » – la liste inclut, entre autres, Israël, le Mexique, la Hongrie, et la République Tchèque. Les demandeur-euses d’asile venant de ces pays voient leur application traitée plus rapidement et ont moins de temps pour soumettre leur demande. Ils-elles ont aussi moins accès à certains recours juridiques après un refus de leur demande (p. ex. ils-elles n’ont pas accès à la nouvelle soi-disant Section d’appel des réfugiés). La liste des POD est un outil politique et diplomatique aligné avec la politique étrangère et économique du Canada.

Les impacts sur la santé sont très réels et sérieux. Les demandeur-euses d’asile venant de POD sont SEULEMENT éligibles pour ce qui est désigné comme la couverture « santé et sécurité publique », c’est-à-dire couverture des soins seulement quand le problème de santé est considéré comme étant une soi-disant « menace » à la santé publique (p. ex. des maladies transmissibles comme la tuberculose, les ITSS et le VIH) ou la sécurité publique (p. ex. quelqu’un qui aurait des idées de meurtre… mais pas des idées suicidaires !). Avec ces coupures, les demandeur-euses d’asile en général et les réfugié-e-s des POD en particulier sont vus comme des menaces et des porteurs-euses de maladies. Cette perspective est raciste et nie leur humanité la plus fondamentale aux personnes migrantes.

Les migrant-e-s se voient refuser des soins de santé dans des situations comme les soins prénataux, accouchements, urgences médicales, accidents, soins préventifs et traitement de conditions chroniques comme le diabète, des maladies sérieuses comme le cancer, et de nombreuses autres situations. Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) devrait non seulement être tenu responsable de toutes les morts, mais aussi de toutes les situations d’injustice en matière de santé qui découlent de ces coupures. Empêcher l’accès aux soins de santé en se basant sur la nationalité est une politique xénophobe et d’exclusion.

Dans le contexte particulier du Québec, malgré des mesures compensatoires annoncées par le gouvernement, il y a un manque de clarté autours de nombreuses questions, notamment à savoir si le gouvernement du Québec va « combler le vide » pour les demandeur-euses d’asile refusé-e-s et les demandeur-euses venant de pays POD ? Pour le moment, il y a beaucoup de confusion autour de cette question et la déclaration que le Ministre de la Santé du Québec a faite n’est pas du tout explicite à ce sujet. À ce jour, sur le terrain, les demandeur-euses d’asile venant de POD se voient refuser l’accès aux soins de santé.

Même si le gouvernement du Québec a déclaré qu’il voulait compenser pour les coupures dans les services de santé pour les réfugié-e-s, plusieurs des mesures annoncées ne sont pas appliquées dans la pratique. Pour ce qui est de l’accès aux médicaments, le programme que Québec a mis en place après juin 2012 semble être plus efficace, car il permet au moins aux demandeur-euses d’asile ayant des papiers du PFSI valides de continuer à avoir accès à des médicaments essentiels. Toutefois, ça ne règle pas la question des personnes qui ont perdu leur couverture sous le PFSI après les coupures, ou les personnes qui sont temporairement sans PFSI valide à cause des délais de renouvellement, de pertes des documents, etc. En ce moment, plusieurs personnes se voient refuser des soins de santé (ou certain-e-s paient de leur poche – avec grande difficulté – pour les services dont ils-elles ont besoin). Cette situation est causée par la confusion autours des coupures du PFSI et des soi-disant mesures compensatoires. De plus, les soins dentaires de base, les services psychologiques, les soins de la vue et les services de réadaptation (p. ex. l’orthophonie et l’ergothérapie) qui étaient couverts sous l’ancien PFSI ne sont plus disponibles. Le Québec n’est pas intervenu pour couvrir ces services essentiels.

Il est important de garder en tête que le gouvernement du Québec émettait des cartes d’assurance-maladie provinciales pour les demandeur-euses d’asile pendant les années 80 et 90. Cette situation avait fort probablement le double avantage de rendre les soins de santé plus accessibles et moins compliqués d’un point de vue bureaucratique. On pourrait dire que le meilleur pas en avant à ce stade-ci pour le gouvernement québécois serait de tout simplement émettre une carte d’assurance-maladie à toutes les personnes touchées par les coupures au PFSI. Plus encore, nous croyons fermement que toutes les personnes vivant au Québec devraient avoir accès au programme régulier d’assurance-maladie, peu importe leur statut d’immigration.

Les conséquences des coupures sur la vie et la survie des demandeur-euses d’asile sont énormes et déjà palpables. Même si des projets de recherche sont en cours pour évaluer les impacts de ces coupures, la réalité est que ceux-ci ne révèleront probablement que la pointe de l’iceberg, et des réalités que nous connaissons déjà. En plus de problèmes de santé physiques très tangibles (cancer, fractures, etc. qui n’auraient pas de traitement) et de la mort, les impacts sur la santé mentale et les barrières qui sont érigées pour empêcher les personnes migrant-e-s d’accéder à des existences empreintes de dignité sont énormes. Ces conséquences soulignent l’importance d’une mobilisation continue pour annuler les coupures au PFSI et plus largement d’une lutte pour l’accès aux soins de santé pour tou-te-s.

Dans le contexte de cette mobilisation, il est primordial que nous exigions aux institutions qui offrent des soins de santé de continuer à fournir des soins à ceux et celles qui n’ont plus de couverture, incluant les personnes qui se voient refuser le PFSI à cause des coupures, ainsi que de manière plus générale aux nombreuses communautés qui n’ont pas d’assurance-maladie. Le fait de demander le statut d’immigration à quelqu’un avant de lui permettre d’avoir accès à des services dans des institutions offrant des soins de santé et dans les organismes communautaires doit être remis en question. De la même manière, le gouvernement provincial devrait être poussé à dénoncer les coupures et à offrir de véritables soins de santé compensatoires. Nous devons continuer à développer un momentum autours des enjeux d’accès aux soins de santé, sans limiter la mobilisation aux seul–e-s professionnel-le-s de la santé. À cet effet, nous invitons les individus et les organisations à participer à notre campagne « nous ne coopèrerons pas » (voir l’adresse du site Web au début de cet article).

Les coupures au PFSI s’inscrivent dans le contexte d’une attaque plus globale contre les communautés migrantes et vont de pair avec la construction d’une « forteresse en Amérique du Nord » – où des murs tangibles et intangibles empêchent la libre circulation et l’accès à des services essentiels comme les soins de santé, mais aussi à la sécurité alimentaire, à du travail et du logement décents, et à l’éducation. Il est difficile de dissocier les coupures au PFSI de cette tendance plus large, tout comme il est difficile de dissocier ces politiques des raisons qui poussent les gens à migrer dans un premier temps – guerres, inégalités économiques, violence basée sur le genre, destruction environnementale, etc. Ces réalités existent car des états-nations, comme le Canada, et leurs gouvernements participent à et tirent profit d’un système capitaliste global, et mettent en place des politiques étrangères impérialistes. Les luttes pour l’accès aux soins de santé doivent se pencher sur les façons dont ces enjeux sont inter-reliés. La santé, au sens large, est un aspect intime et fondamental de la vie des gens. La résistance contre les coupures au PFSI, tout comme la résistance plus globale contre les politiques d’immigration injustes, le racisme, le colonialisme, le classisme, le capacitisme, l’hétéro-patriarcat, la destruction environnementale, et d’autres formes d’oppression, sont des manières de construire des relations et des communautés plus saines avec le temps.