Au-delà de l’austérité: article pour le journal du Printemps 2015

 

Cet article a été écrit par membres de Solidarite sans frontières pour le journal du Printemps 2015. Plus d’info ici: grevecontrelausterite.wordpress.com

L’austérité est souvent décrite comme un acte de guerre sociale de la part des riches. Selon qui en parle, cet assaut peut être décrit comme une attaque contre les classes moyennes ou ouvrières, ou tout nombre d’autres groupes visés par le capitalisme. Elle affecte beaucoup de gens ; par conséquent, des exemples spécifiques peuvent galvaniser une grande opposition, des mobilisations de masse, et … des récupérations faciles. Parce que même si l’austérité néolibérale touche un grand monde, elle ne nous touche pas tous et toutes de la même manière, ou avec la même force.

Pour certain-e-s, l’austérité c’est du vol, pillant le niveau de vie pour lequel eux/elles et leurs familles ont tant travaillé à atteindre. Pour d’autres, l’austérité est un grand pas en arrière, défaisant les victoires durement gagnées des générations antérieures. Il y a souvent une évaluation sans critique du capitalisme avant le néolibéralisme, ainsi que de qui a véritablement payé le plus grand prix pour ces victoires durement gagnées. Les politiques résultantes de ces perspectives sont littéralement conservatrices : vouloir préserver ce que les gens avaient avant les coupures, les privatisations, etc.

De telles politiques reprochent souvent l’austérité à des politicien-ne-s corrompu-e-s, des complots farfelus, et d’un capitalisme spécifiquement « mondialisant ». Leurs solutions ont tendance à être réformistes, nationalistes, et pro-État. En fin de compte, ces politiques cherchent à négocier des meilleures deals avec le capitalisme.

 

Le Capitalisme canadien

 Dans la partie nord de la Grande Tortue, le capitalisme contemporain est basé sur quatre grands axes :

  1. La dépossession des peuples autochtones de territoires réclamés par l’État canadien, surtout pour en extraire des ressources, mais aussi pour le développement. Par exemple, les sables bitumineux en Alberta, Energy East, et le Plan Nord ici au Québec. Il est important de garder à l’esprit que le modèle entier de développement et d’accumulation de capital canadien est basé sur la subjugation de ces nations autochtones.
  2. La dépossession des peuples partout dans le monde, pour piller leurs ressources. Près de 80% des compagnies minières du monde sont basées au Canada, leurs activités laissant souvent une dévastation sociale et écologique dans leurs sillages. C’est un secteur particulièrement brutal ; par exemple, le Pacific Rim Mining Corporation de Vancouver a été impliquée dans le meurtre d’opposants à ses activités à El Salvador.
  3. La surexploitation des travailleurs et travailleuses dans les pays du Sud. Par exemple, en 2013 la compagnie québécoise Gildan Activewear a enregistré des profits de $320 millions. 41.000 travailleurs et travailleuses ont créé ces profits dans des sweatshops de Gildan au Honduras, au Nicaragua, dans la République Dominicaine, à Haïti, et au Bangladesh. Les salaires journaliers des ces ouvriers et ouvrières sont souvent moins que le salaire horaire minimum au Canada. Une telle surexploitation est bâtie sur l’histoire d’esclavage colonial, la suprématie blanche étant l’idéologie fondatrice de l’Amérique du Nord.
  4. Le maintien de la loyauté au capitalisme des travailleurs et travailleuses canadien-ne-s et québécois-es, et l’encouragement de mobilisations racistes et xénophobes en défense de ces positions de privilège. Malgré le fait que ces « privilèges » soient largement illusoires pour certains, une identification avec le Canada, le Québec, la « blancheur », et les niveaux de vie associés au premier monde, attache des sections précaires de la population à l’état-nation capitaliste. Et plus ce statut privilégié (peu importe combien atteignable) devient la « norme » perçue, l’échec de recevoir ce statut mène à la recherche de boucs émissaires (immigré-e-s, politicien-ne-s corrompu-e-s, peuples autochtones, etc.) plutôt qu’un rejet du capitalisme en soi. Sous le néolibéralisme, utiliser des pots-de-vin pour obtenir la loyauté des travailleurs et travailleuses privilégié-e-s deviendra de plus en plus difficile, à mesure que ces dépenses enfreignent à la compétitivité internationale du Canada. Sans l’intervention politique de forces anti-racistes, anti-impérialistes, et anti-coloniales, lorsque les travailleurs et travailleuses privilégié-e-s se rebellent contre leur destin sous le capitalisme, ils et elles auront tendance à adopter le genre de politique conservatrice mentionnée ci-dessus, et souvent à une sauce raciste.

 

Travailleurs et travailleuses migrant-e-s au Canada : un aperçu

Comme l’auteur David McNally a pu observer : « Ce n’est pas que le commerce mondial ne veut pas de travail migrant en Occident. Il veut simplement ce travail sur ses propres termes : apeuré, opprimé, vulnérable. »

NuestroLabor_1000px_hi_res_En parallèle à la consolidation d’austérité néolibérale, les économies à travers le Nord mondial dépendent de plus en plus du main-d’œuvre immigré et migrant. Le but est d’obtenir un accès à une force de travail hyperflexible et peu chère : des travailleurs et travailleuses à utiliser et ensuite jeter à la poubelle, des gens à exploiter puis renvoyer chez eux et elles, sans jamais qu’elles puissent accéder aux privilèges qu’elles ont maintenu pour les travailleurs et travailleuses de la nation-oppresseur. Pour la plupart des personnes qui viennent des pays du Sud dévastés par le (néo-) colonialisme, l’austérité n’est rien de nouveau – c’est la norme. Les services et les ressources qui se font couper ont souvent été conçus pour ne jamais être accessible par eux et elles pour commencer.

Ce n’est pas une coïncidence que le premier programme de travail temporaire ait été créé en 1966, quelques années seulement après l’élimination des catégories explicitement raciales qui avaient antérieurement défini les lois d’immigration au Canada. Le Programme d’autorisation d’emploi des non-immigrants (PAENI) a créé une catégorie distincte de travailleurs et travailleuses « peu-qualifié-e-s », la majorité d’entre eux et elles issu-e-s des pays du Sud. Cela a pris quelques années avant que les effets du PAENI aient totalement prit forme, mais à partir des années 1980, les demandes d’autorisations temporaires de travail avaient éclipsé l’entrée de travailleurs et travailleuses permanent-e-s.

En parallèle de ceci, la trajectoire de classe des immigrant-e-s permanents au Canada elle-même a commencé à changer. Une majorité d’immigrant-e-s, même ceux et celles qui étaient de classe moyenne dans leurs pays d’origine, se faisaient réorienter (surtout par des mécanismes racistes informels) vers les occupations les plus exploitées et précaires. En tant que telle, la racialisation structurelle du travail à bas-salaire a persisté même parmi les « nouveaux et nouvelles canadien-ne-s. » En même temps, une section privilégiée de ces communautés immigrantes a été intégrée dans la classe moyenne et l’aristocratie ouvrière. Cette classe moyenne immigrante est coincée entre ses propres contradictions avec le colonialisme local (être sujet-te-s au racisme, en plus des même pressions néolibérales que le reste de la classe moyenne) et le rôle qu’elle joue à lier la classe ouvrière immigrante précaire au projet néocolonial – ou au moins à neutraliser son opposition.

Le Programme de travailleurs étrangers temporaires (sic. ; PTEC) fut établi en 2002 en extension du PAENI. Il s’est rapidement élargi, triplant de volume depuis 2006, signalant une fois de plus la centralité d’une force de travail hyperflexible dans les plans capitalistes. Les employeurs peuvent puiser du travail de tout pays dans le monde, sans surveillance gouvernementale, et sans accords bilatéraux. Il n’y a pas de chemin vers la résidence permanente ; le droit des travailleurs et travailleuses de rester au Canada dépend de leur employeur. La plupart des travailleurs et travailleuses migrant-e-s reviennent chaque année pour compléter le même travail de contrat « à court terme » exploité.

Ces travailleurs et travailleuses ont été « temporaires permanent-e-s », enfermé-e-s dans une situation d’insécurité persistante. Cependant, des changements qui prendront effet le 1er avril 2015 vont empirer encore plus cette situation. La nouvelle législation « 4 et 4 », visant les travailleurs et travailleuses les plus exploité-e-s du PTEC, limitera ces personnes à quatre ans de travail, puis les empêchera de revenir au pays pour les quatre années suivantes. Ceci est destiné à rendre ces personnes encore plus isolé-e-s et vulnérables, amenant un système d’immigration à porte tournante pour les plus exploité-e-s. Tous et toutes les travailleurs et travailleuses temporaires à bas-salaire embauché-e-s dans les réseaux de soins à domicile qui ont travaillé au Canada depuis plus de quatre ans seront banni-e-s de travailler, et seront forcé-e-s à quitter le pays – une des plus grandes déportations de l’histoire canadienne. Éventuellement, plus de 60.000 personnes vivant actuellement au Canada (et des centaines de milliers qui les remplaceront de manière temporaire) seront expulsées, forcées à partir, ou obligées de vivre ici comme travailleurs et travailleuses sans-papiers et criminalisé-e-s.

En plus des 300.000 migrant-e-s travaillant sous le PTEC, il y a actuellement entre 250.000 et 400.000 travailleurs et travailleuses migrant-e-s sans papiers au Canada. Ces personnes travaillent principalement pour du cash, sans accès au salaire minimum, à l’assistance sociale, ou aux protections basiques au travail. Ils et elles constituent la section la plus exploitée de la classe ouvrière dans ce pays.

Tandis que l’État canadien cherche à étendre son secteur migrant hyperflexible, il a simultanément choisi de restreindre les avenues d’immigration permanente. Comme Harsha Walia de Personne n’est illégal le raconte,

« Selon Avvy Yao-Yao Go, Directrice de la Metro Toronto Chinese and Southeast Asian Legal Clinic, ‘Il y a trente ans, les migrant-e-s de classe familiale étaient la majorité de tous les migrant-e-s. Aujourd’hui ils et elles comptent pour moins de 20% du total.’

« Le gouvernement conservateur a institué des quotas de 5000 demandes (à noter, cela n’équivaut pas à autant d’admissions) de parrainage de parents et grands-parents. Ceci vient après un moratoire de 2-ans sur la réunification avec les parents et grands-parents.

« Afin même de qualifier, le gouvernement a imposé des exigences de revenu strictes, et les familles doivent signer un accord financier de 20 ans. Cela implique que pendant deux décennies, les parents et grands-parents parrainés ne pourront pas accéder à l’assistance sociale sans y redevoir. »

Ces changements au régime de réunification des familles font partie d’une série d’attaques gouvernementales contre les migrant-e-s « indésirables. » Suite à la création orwélienne de « l’Acte pour protéger le système d’immigration canadien » (Loi C-31) en 2012, les taux d’acceptation de réfugié-e-s fut au plus bas de l’histoire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à 33%. En 2013, plus de 15.000 déportations ont eu lieu – plus de 40 par jour – et plus de 9.000 personnes ont été enfermées dans des prisons d’immigration entre 2012 et 2013. La déclaration par le gouvernement en décembre 2014 qu’il annulait l’interdiction de déportations vers le Zimbabwe et la néo-colonie canadienne Haïti – soit disant parce que la situation de ces pays s’était « améliorée » – signifie que 3.500 personnes de plus feront face à une possible exclusion. (Cela souligne l’hypocrisie du système d’apartheid mondial : ces deux pays, désormais considérés saufs pour y déporter des gens, sont chacun sujet à des avertissements de voyage pour les touristes canadien-ne-s.) Entre-temps, et également en 2014, la loi C-24 est mise en vigueur, donnant la possibilité d’ôter la citoyenneté à des bi-nationaux ou même des enfants né-e-s au Canada qui ont la possibilité d’avoir deux citoyennetés. Dans un jugement choquant sans précédent, suite à un délit criminel non-violent, Deepan Budlakoti, né à Ottawa et détenant un passeport canadien, fait face à une expulsion vers l’Inde, un pays qu’il n’a visité que brièvement lorsqu’il avait 12 ans. C’est la folie des déportations.

 

Racisme de la nation-oppresseur

L’effet d’une force de travail migrante hautement exploitable sur la force de travail nationalement privilégiée est complexe. Dans certains cas, les travailleurs et travailleuses temporaires peuvent agir comme tampon pour maintenir des salaires plus élevés, des services peu cher, et une exemption d’occupations particulièrement dangereux ou difficiles pour les travailleurs et travailleuses canadien-ne-s.

En même temps, les travailleurs et travailleuses temporaires peuvent être utilisé-e-s pour pousser les salaires vers le bas pour ces mêmes sections privilégiées de la population, en limitant leur pouvoir de négociation et en maintenant les coûts d’affaires bas. Comme nous l’avons vu, certains secteurs répondent avec un réflexe conservateur dans ce contexte, de manière raciste et anti-austérité simultanément. Les politiques anti-austérité qui se focalisent sur sauver « nos » boulots et « notre » manière de vivre sont la loyale opposition du capitalisme. Elles ne sont pas du tout incompatibles au contrôle accru des frontières de race et de classe des identités nationales canadienne et québécoise – toutes deux au niveau des discours et des politiques, et sur le terrain concret de police, de cours, et de prisons.

Les acteurs et actrices du gouvernement et de la société civile ont encouragé et ont flatté le racisme populaire, mobilisant cette discrimination pour l’utiliser comme la colle blanche pour garder les travailleurs et travailleuses de la nation-oppresseur attaché-e-s à « leur » État. Par exemple, la Fédération de travail d’Alberta a récemment organisé une manifestation contre des emplois donnés à des travailleurs et travailleuses migrant-e-s temporaires dans un projet public. « La plupart des citoyens préférerait voir leurs impôts donnés à leurs voisins plutôt qu’envoyés hors-province et hors-pays, » a expliqué Bruce Fafard, président du Conseil du travail d’Edmonton.

Une telle xénophobie de « nous d’abord » est en aucun lieu confiné seulement à l’Alberta. En effet, un des pires exemples de racisme récent a eu lieu ici au Québec : la Charte des valeurs québécoises du Parti Québécois. Dans le contexte des mobilisations autour de la Charte en 2012-13, d’innombrables actes de violence et de harcèlement furent dirigés contre des groupes stigmatisés pour leur adhérence à certaines religions « étrangères ». Les cibles principales étaient des musulman-ne-s, et surtout les femmes musulmanes, qui se faisaient aborder dans le métro ou en marchant dans la rue, insultées, se faire dire de rentrer chez elles, et attaquées physiquement, souvent par des gens qui essayaient d’enlever de force les couvre-chefs qu’elles portaient. Un sondage informel sur Internet de femmes musulmanes dans la province en décembre 2012 a trouvé que 300 répondantes sur 388 avaient souffert des abus verbaux depuis le début de la controverse de la Charte.

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Deux ans plus tard, l’Islamophobie persiste en tant que courant considérable dans le discours politique canadien et québécois. En février 2015, le Bloc Québécois a émit des publicités visant l’appui du NPD, attaquant le fait que ce parti défendait le droit de porter le niqab a des cérémonies de citoyenneté. En même temps, un juge montréalais a interdit une femme de sa cour parce qu’elle ne voulait pas ôter son hijab, et un sondage d’opinion fut publié qui montrait que 64% des gens au Québec opposeraient l’existence d’une mosquée dans leur quartier.

Que ce soit la Charte ou les autres démagogies islamophobes, la folie des déportations, ou les mobilisations pour garder « nos » boulots pour « nous », ce qui est mise en évidence est une société de suprématie blanche, dépendant du travail du tiers monde, cherchant à maintenir sa domination culturelle, psychologique, et économique par la violence et l’intimidation.

 

La Reproduction du travail

Les capitalistes cherchent à extraire le travail maximum de tout-e travailleur et travailleuse, à un coût minimal ; pour le capitalisme, un-e travailleuse ou travailleur c’est une force de travail, et rien de plus. Les travailleurs et travailleuses « temporairement permanent-e-s » souffrent de formes extrêmes d’exploitation dans la poursuite de l’idéal capitaliste. La nature « temporaire » est fondamentale ici, car elle se traduit en une réduction massive de sécurité et d’accès à des services et avantages en dehors du travail, peu importe combien d’années une personne y a travaillé.

Les employeurs canadiens utilisent de tel-le-s travailleurs et travailleuses sans contribuer aux coûts de les élever, les éduquer et les entraîner, sans les supporter lorsqu’ils et elles sont malades ou deviennent âgé-e-s, et sans soutenir leurs enfants et autres dépendants. Les coûts de reproduction de cette force de travail sont poussés en dehors des nations-oppresseurs, légués aux communautés et aux familles de ces travailleurs et travailleuses dans les pays du Sud. Entre-temps, au Canada, les personnes sans statuts sont souvent barrées d’accès aux soins médicaux, à l’école, et à d’autres services sociaux. En effet, même les servies non-étatiques, par exemple beaucoup de banques alimentaires, refusent souvent de fournir de l’aide à des personnes qui ne sont pas en mesure de fournir la bonne identification « légale ».

Une telle exclusion est fréquemment durement ressentie non seulement par les personnes directement affectées, mais également par les membres de leurs familles qui font ce qu’elles peuvent pour eux et elles. Dans les pays du Sud comme ceux du Nord, ce travail incombe trop souvent aux femmes – aux grands-mères, aux mères, aux conjointes, aux sœurs, et aux filles qui font tout leur possible pour aider les membres de leur famille en détresse.

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Qu’un tel « travail reproductif » féminisé, au Canada comme aux pays du Sud, soit mal rémunéré ou pas payé du tout, génère une source de superprofits qui est toute aussi grande qu’elle est cachée.

De plus, les femmes migrantes au Canada souffrent de toutes les mêmes formes d’exclusion que les hommes, mais tout en faisant face à des formes spécifiques de violence et d’oppression genrées. Dans chaque cas, le racisme et sexisme canadien exacerbe l’oppression et l’exclusion en cause. Par exemple, à partir d’août 2014, les épouses doivent désormais arriver avec un visa probatoire conditionnel de deux ans avant d’obtenir un statut permanent, un fait qui augmente la vulnérabilité des femmes migrantes dans des relations abusives, car cela rend leur statut légal entièrement dépendant de la continuation de relation avec leur conjoint. En plus, sous la régime de la suprématie blanche, les femmes racialisées et autochtones, queer, deux-esprits, trans, ainsi que toutes et tous celles et ceux qui ne conforment pas aux normes genrées patriarcales et de classe, font face à la grosse partie de la violence capitaliste et coloniale. Dans ceci, les autorités canadiennes elles-mêmes continuent d’être une source importante de violence.

Finalement, comme le montre le cas de la Charte des valeurs québécoises, les femmes perçues comme « étrangères » sont les cibles de choix de la violence raciste et des règlements condescendants. Dans la période actuelle d’Islamophobie accrue, ceci est une réalité particulièrement intense pour les femmes musulmanes, qui sont simultanément caractérisées comme les plus opprimées et les plus dangereuses. Cependant, toute femme considérée comme « autre » – non seulement les migrantes et musulmanes, mais également (selon les circonstances) les femmes autochtones, femmes pauvres, travailleuses de sexe, femmes trans, et autres – sont vulnérables à de telles campagnes haineuses, qui ont le but de les garder dans une position précaire, tout comme elles servent à garder les femmes de la nation-oppresseur attachées de manière plus étroite à « leurs propres » structures patriarcales.

 

L’Exclusion de l’atypique

Le capitalisme produit la croyance selon laquelle seul-e-s ceux et celles qui peuvent « fonctionner » et être « indépendant-e-s », qui peuvent s’immiscer facilement dans les exigences physiques et émotives de la société capitaliste, sont « normaux et normales. » Il n’y a aucun souci quant au fait que la plupart d’entre nous n’y arrivent pas régulièrement, et qu’on a tous et toutes besoin de plus de soins à certains moments de nos vies (telle l’enfance et le vieil âge). De telles idées irréelles de ce qui est « normal » sont dominantes et se font rarement mettre en cause. Nos idées et nos stratégies, et nos politiques et notre anti-capitalisme sont ainsi créés autour des « réalités » de ces gens fictifs « normaux » non-existants. Ceci est un aspect du système d’oppression qui peut être nommé « capacitisme. »

Parmi d’autres choses, le capacitisme cache une manière particulièrement brutale que le capitalisme compense les coûts de travail, en excluant et rendant invisibles des personnes au-delà de leur capacité à travailler : la relation du capitalisme néolibéral aux personnes dont les situations physiques, mentales, ou émotives les rendent « non-rentables. » Les définitions bureaucratiques du « handicap » sont modifiées pour un profit maximal. Que cela révèle la nature socialement construite du handicap, comme c’est le cas pour le genre, ne devrait pas être surprenant. En effet, il y a beaucoup de chevauchement entre les préoccupations des personnes avec divers handicaps, des personnes âgées, les enfants et les bébés, et les personnes en situations de crise, qui gèrent des stresses post-traumatiques, et d’autres difficultés de la vie.

Que des personnes aient différents besoins qui peuvent changer au cours de leurs vies, et que satisfaire à ces exigences soit la responsabilité de tous et toutes, est anathème au capitalisme. Même pour des citoyens de la nation-oppresseur, plusieurs obstacles – grande paperasse, examens médicaux, préjugés de médecins, évaluations incompétentes, déformations – s’ajoutent pour refuser ou abaisser les besoins des personnes incapacitées. Les personnes avec des handicaps sont déshumanisées et se voient donner l’impression qu’elles ne sont pas aussi bonnes que d’autres gens. Cette situation malheureuse est infiniment pire pour les migrant-e-s souffrant d’incapacités.

L’Acte d’immigration de 1976 excluait les personnes du Canada si un-e médecin agréé-e jugeait qu’elles seront un fardeau aux services sociaux et de santé. La loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés (sic.) de 2001 a empiré les choses en établissant des lignes directrices restrictives explicites sur la base de coûts probables sur une période de cinq et dix ans. La seule manière qu’une personne avec un handicap ou une incapacité puisse entrer au Canada est en réclamant le statut de réfugié-e, un statut qui est de plus en plus difficile à obtenir, ou de se battre en justice pour prouver que les membres de leur famille aient des fonds suffisants pour s’occuper de leurs dépendants, et qu’ils comptent ce faire. Sinon, les migrant-e-s handicapé-e-s se font rejeter comme un fardeau à éliminer du pays, totalement exclus de la résidence permanente. Ils et elles sont expulsé-e-s et leurs familles peuvent l’être également.

Prendre soin des personnes dont les besoins ne sont pas pris en compte par l’État néolibéral incombe tout d’abord aux parents et autres membres de la famille, dont principalement des femmes, qui doivent souvent sacrifier leur travail pour le faire – une situation particulièrement pesante pour des migrant-e-s qui doivent soit prouver une indépendance financière, soit faire face à la déportation. Bien sûr, ce ne sont pas toutes les familles dont les membres pourront ou voudront fournir les soins nécessaires. Dans une société où l’on est barré d’accès aux services pour cause de statut de citoyenneté, le handicap peut mener à l’itinérance et l’incarcération, suivi par l’expulsion du pays.

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Anti-austérité ou anti-colonialisme ?

Le capitalisme a toujours impliqué de négocier des deals, d’élever certaines personnes à des positions de pouvoir et de domination sur les autres. L’austérité est un programme favorisé par les capitalistes, mais ce n’est ni leur seule option, ni une nécessité à l’existence de leur système. Un cadre d’analyse anti-austérité qui n’est pas anti-capitaliste consiste simplement en une demande que certain-e-s personnes doivent être mieux traitées, gagnantes, qu’elles bénéficent d’une meilleure deal avec le capital – peu importe si cette deal est aux dépens de quelqu’un-e d’autre.

Les mouvements d’opposition ont été profondément touchés par des pensées pro-capitalistes, même là où ils se disent anti-capitalistes. Ceci peut prendre la forme de soutien pour diverses sortes de capitalisme réformé, pour une démocratie sociale, ou un nationalisme « progressiste. » Pour de meilleures deals. Cela peut être insidieux, avec des gens qui survolent simplement certaines questions, et par là les excluent de leur analyse. Des idées capacitistes gardent les enjeux des personnes vivant avec des handicaps et des incapacités en marge de son analyse, de la même manière que les idées racistes maintiennent des enjeux des travailleuses et travailleurs migrant-e-s en marge de son analyse, de la même manière que les idées sexistes maintiennent les problèmes de violence genrée et de travail reproductif en marge de son analyse. Ceci n’est pas une liste exhaustive. Chacun de ces oublis analytiques pose le fondement d’une marginalisation dans la réalité, le retranchement des lignes de division et d’exploitation, à la fois dans la société et nos mouvements eux-mêmes.

En entrant dans une autre période de lutte contre l’austérité, nous intervenons pour assurer que l’anti-racisme, l’anti-impérialisme, et l’anti-colonialisme – ainsi que l’opposition à toutes formes d’oppression – soient à la base de toute mobilisation.

AnticolonialTeachInFR